Ce qui s’est dit… le 28/04/2017

Nez part à la conquête du monde anglophone. Premier arrêt : New-York, épisode 1.

A new Nez in New York. Par Mathieu Chévara.

7h30

On pensait écarquiller les yeux bien plus tôt à cause du décalage horaire. Avoir le temps de grimper sur le pont de Brooklyn pour prendre, de loin, la mesure de la mission à accomplir. Par quoi commencer, ou plutôt par qui commencer ? New York a beau impressionner, ce n’est pas en premier lieu grâce au nombre de parfumeries de niche que la ville compte. Dominique est plongé dans son smartphone, en tirant à bout de doigts un itinéraire pour deux indiens dans la ville : MiN, Osswald, puis Aedes, ensuite Bigelow et pourquoi pas Saks ?

 

9h00

Café. Vite. Les boutiques sont encore loin d’être ouvertes. La plongée olfactive dans Tribeca est à l’image de ce collage géant d’immeubles, de bouts de terrains vagues, de porches décrépis et de magasins fashion : on passe sans transition des odeurs de détritus organiques d’une ville du tiers monde aux effluves sophistiqués des parfums d’intérieur, sans oublier les puissants détergents qui remettent chaque matin le quartier à neuf. On profite de la minuscule terrasse pour parler de tout ce qui concerne Nez sans jamais avoir eu le temps de le faire : émission de radio, festival culturel olfactif, PLV, prochains bouquins, partenariats, voyages parfumés et modèle économique. Je dessine sur le fil les idées qui émergent, leur offrant un début de réalité un tant soit peu tangible. Ça fait cher la réunion, qui n’avait sans doute pas besoin de se produire de l’autre côté de l’Atlantique pour parvenir à tracer ces quelques perspectives.

 

11h00

Min New York est juste là, devant nous. On tourne autour, Dominique profite de notre timide hésitation pour passer un coup de fil à Tanya Bühler de Merz Apothecary à Chicago, qui lui propose de lui ouvrir son réseau pour accueillir Nez in english dans les meilleurs conditions. La porte franchie, la boutique semble vaste, l’ambiance feutrée, les flacons disposés de manière très étudiée sur les longues étagères. Derrière le comptoir, Nida Uzaite-Vashington nous accueille d’un guttural “do you need any help ?”. Dominique enchaîne sans hésiter, le temps pour moi d’attraper un numéro et de le libérer de son film de protection. La découverte de l’objet aiguise progressivement la curiosité de notre interlocutrice, qui comprend rapidement la démarche inédite que nous portons. “Waaahou, it’s fantastic”. On souffle. Pour mieux respirer ensuite quelques jus de fabrication maison, notamment le “Moon Dust” que Dominique retient dans ses narines. Premier contact enthousiasmant, juste un bon de commande à envoyer et nos premiers Nez en anglais sont placés ! On sort tout gonflés de cet accueil : si personne ne nous attend ici, on se sent tout de même vraiment bienvenus.

 

12h15

Chez Osswald, à quelques blocs de MiN, la boutique est d’un autre genre : les flacons recouvrent le volume, s’entrechoquent davantage dans leurs tentatives respectives d’attirer l’attention. Mais les belles références de la niche sont quand même bien là. Au fond, plusieurs personnes papotent délicatement. Josie Plumey, responsable du magasin me voit sortir Nez de mon sac et se fige dans une expression à la hauteur de sa surprise : elle a découvert la revue il y a peu sur Instagram et se dit “so excited” de l’effeuiller, en vrai. Et en anglais de surcroît. “Incredible”. La jeune fille à ses côtés, Arielle Shoshana vient de DC et gère la boutique à laquelle elle donne son nom. Elle le veut aussi. Que demande le peuple ?

 

12h50

Ça gargouille. Surtout pour Dominique, à l’écoute de son corps et de sa barbe en toute situation. On s’engage sur Greenwich avenue, sûrs de trouver une petite terrasse ensoleillée, même s’il faut se mettre le temps d’un repas dans la peau d’un Vegan. On tombe Nez à Nez avec la boutique Aedes, rendue célèbre notamment par la fréquentation du désormais légendaire Barack Obama, qui y aurait ses habitudes. Un autre style, une autre ambiance : paon empaillé, boiseries rococo et moquette dans laquelle on s’enfonce tendrement. Ce patchwork improbable nous conduit jusqu’à Adam, informé quelques jours plus tôt de notre passage et ayant précisé qu’il nous fallait plutôt dealer avec son associé. Son étonnement est donc naturellement moins visible, sans doute aussi parce qu’ici, l’assurance d’être “the place to be” est largement plus palpable. On s’arrache pour un Beef brisket et un Chicken sandwich tout ce qu’il y a de plus carnivore. Le soleil pointe, la sieste se fait désirer. On se réveille avec un excellent espresso, pas si loin de ceux dont Hippolyte Courty parle si bien dans l’interview du numéro 3 de la revue Nez.

 

14h15

À deux pas, Bigelow émerge de la façade avec son enseigne rassurante (depuis 1838) et typiquement américaine (on fait pas semblant de s’annoncer). La boutique est un petit palais où sont brassés tous les types de produits, de la cosmétique au maquillage jusqu’aux bougies parfumées. Le rayon parfumerie occupe une place non négligeable qui justifie sans aucun doute notre visite intéressée. Tout au fond, on vend des aspirines et ce que l’industrie pharmaceutique compte en médecines diverses et variées. Dominique sentant son crâne chahuté par le jetlag en profite pour acheter une boîte de 100 pilules de paracétamol : de quoi soigner l’abus de Guinness jusqu’au solstice d’été. On nous indique le comptoir à l’entrée pour rencontrer la manager de la boutique, occupée avec une Française lui comptant les mérites d’un intense rouge à lèvres. Emily Vargas-Benedict et son assistante Lea Aglione sont chaleureuses et immédiatement conquises par Nez. Elles nous racontent l’histoire familiale du magasin, transmis de génération en génération depuis près de deux siècles, pendant que j’observe des fashionistas passer la porte entre deux vieillards en déambulateur venus faire le plein de médocs. Comment un magazine à l’éclectisme assumé ne trouverait-il pas sa place ici ? Elle note soigneusement les conditions de distribution que Dominique lui propose et semble être prête à en prendre une trentaine. On se quitte presque amis, les Américains sont incroyables pour cela.

 

15h00

On a récupéré tout au long de la matinée quelques adresses de plus pour accommoder nos tractations commerciales, mais pas de hotspots en vue pour préparer un itinéraire digne de ce nom. On décide de remonter Manhattan pour tenter le coup chez Saks Fifth Avenue. Et parce que la terrasse du 8e semble un endroit parfait pour se jeter un godet. De la 13th à la 49th, c’est tout droit, certes, mais ce n’est pas la porte à côté. On passe au pied de l’Empire State Building dont on ne distingue pas le sommet plongé dans la brume, la New York Library et son environnement végétal rafraîchissant, pour enfin pénétrer dans ce haut lieu du luxe. Mauvaise pioche. Les corners de marques mainstream pullulent, avec son armée de vendeuses et vendeurs insistants braquant sur nous tracts et offres promotionnelles. On cherche la voie des ascenseurs, espérant se rattraper sur la terrasse. “Private event” est l’annonce qui nous accueille à l’entrée. La loose.

 

18h00

Héler un taxi pour lui demander de nous amener à East Village dont nous gardons, Dominique et moi, un souvenir alcoolisé et joyeux de nos précédentes venues à New York. Le chauffeur nous lâche à Union Square, d’où nous tentons de redessiner avec la force qu’il nous reste sous nos voûtes plantaires l’itinéraire qui nous mènera dans un bar à cocktails. Envie de plonger dans la vie bruyante d’un After Work new-yorkais pour éponger la fatigue. Après quelques décisions vaseuses sur la gauche et la droite, on finit par retrouver un établissement dans lequel je me souviens avoir fini dans un sale état quelques années plus tôt. La mémoire du soiffard est éloquente. Pisco sour, Bambino et Montparnasse pour lancer la soirée, avant de déguster un succulent Bu Chan au Hanoï House, 119 Saint-Marks Place. Une mixture aux saveurs asiatiques parfaitement relevée et revisitée, dans laquelle s’imbibent avec gourmandise les meat balls, nems, nouilles, et autres feuilles de laitue et de menthe. Une explosion gustative dont il faudra que je parle à Luc Dubanchet [1] que j’avais eu la chance un an et demi plus tôt d’accompagner pour l’Omnivore World Tour à New York. Quelques Pisco Sour plus tard et une poignée de dollars en moins, Uber nous largue au Cosmopolitan Hôtel Tribeca. Demain est un autre jour.