Ce qui s’est dit… le 09/07/2014

Et
l’homo
smartphonicus
fut

"Ce livre drôlement érudit constitue une lecture idéale pour l’été pour ne pas textoter ni bronzer idiot. Il mérite que l’on délaisse un temps son teléphone intelligent. Pour y revenir plus intelligemment." Par David Lacombled, directeur délégué à la stratégie de contenus / Orange, qui s'amuse à nommer les chapitres du livre "applis". Il a tout bien compris.

Peut-on vivre sans Smartphone ?

 

À la toute fin du XXème siècle apparut enfin l’homo smartphonicus. Reconnaissable à ce que sa main est prolongée d’un appendice technologique appelé smartphone en activité quasi permanente. Peut-on vivre sans Smartphone ? (Contrepoint) de Judith Aquien dissèque ce nouvel âge de l’humanité avec précision, érudition et humour. Une parfaite lecture d’été pour ne pas (trop) textoter ni bronzer idiot.

La nouvelle espèce humaine née de l’apparition du smartphone, Michel Serres l’avait surnommée Petite Poucette. Selon lui, cette nouvelle génération tenait l’avenir de l’humanité entre ses deux pouces qu’elle agitait sur le clavier ou l’écran tactile de son smartphone. Il nous livrait une vision émerveillée, chaleureuse, délibérément utopiste de cette nouvelle génération promise aux lendemains qui textotent.

Dans Peut-on vivre sans Smartphone ? (Edition Contrepoint) l’auteure, Judith Aquien, s’attache pour sa part à disséquer notre quotidien et les bouleversements qu’il a subis depuis l’apparition de ce qu’on ne peut plus désormais appeler un gadget et qu’elle appelle le « téléphone intelligent » traduction littérale et un brin ironique de l’anglicisme « smartphone ». La question du titre est purement rhétorique : qui peut désormais dire qu’il peut vivre sans smartphone ? Vous-même d’ailleurs parviendrez vous à aller au bout de cette chronique sans consulter au moins une fois votre smartphone ?

Le livre nous apprend du reste que 6 minutes en moyenne séparent deux vérifications effectuées son smartphone et que 150 vérifications quotidiennes sont constatées en moyenne par personne. La question est donc entendue. Mais ce qu’apporte le livre est une exploration minutieuse du monde avec smartphone. Un tour du monde en 25 chapitres allant de « Tuer le temps » à « Ne pas dormir seul » dans une boucle temporelle, en passant par « Combler un trou de mémoire », « Diviser la note », « Rester en bonne santé » ou « Rencontrer & faire l’amour » ou bien encore « s’informer et informer ». Vingt cinq chapitres où l’on se rend compte que décidément l’outil connecté par excellence a envahi un à un les moindres interstices de notre vie quotidienne tant privée que publique.

C’est donc une éthnologie de la vie smart que nous propose Judith Aquien, qui est actuellement designer dans une agence spécialisée dans l’open data, mais une éthnologie aussi savante et érudite que drôle et décalée. Dans le droit fil de la chronique intitulée Le fin mot de l’histoire que l’auteure a tenue pendant 3 saisons sur Le Mouv’ où elle disséquait l’étymologie d’un mot convoquant neurones et zygomatiques.

Et pour faire corps avec son sujet, l’ouvrage possède à la manière d’un téléphone intelligent différentes « applis ».

– Il y a l’appli « tranches de vie » pour tout connaître sur les nouveaux us et coutumes que ce nouvel outil a engendré. Cela donne lieu à des chroniques où l’auteure livre des portraits hauts en couleurs où l’on reconnaîtra forcément nos congénéres  – et où l’on se reconnaîtra soi-même aussi souvent – dans nos tics et nos tocs.

– Il y a l’appli « point de vue du philosophe » pour réfléchir plus profondément et prendre du recul sur le phénomène. Judith Aquien y convoque tour à tour pour une mise en perspective Sénèque, Aristote, Freud, Nietzsche, Guy Debord, Jean Baudrillard, Hegel, Platon, Deleuze et Guattari, Jean-Paul Sartre, Roland Barthes Paul Virilio ou Michel Serres… Philosophes ayant vécu pour la plupart sans smartphone, mais qui ont des clefs importants à nous livrer. À noter que l’auteure cite des philosophes plus méconnus comme Patrick Le Lay, Joël Collado, Jean-Pierre Foucault (aux côtés de Michel)…

– Il y a l’appli « illustrations » assurée par Quentin Vijoux (qui collabore entre au New York Times, à Télérama ou à la revue XXI) pour rire. Dans chaque chapitre sont croqués avec humour et fantaisie nos travers numériques.

– Il y a l’appli « data » qui offre tous les chiffres et pourcentages utiles pour pouvoir faire exposé ultradocumenté et très sérieux. Une radiographie au scalpel de notre comportement avec le smartphone.

– Il y a enfin l’appli « miscellannées » pour briller en société grâce à des astuces insolites, utiles ou futiles. Nous avons ainsi appris page 59 qu’en mettant l’appli calculculatrice en mode paysage – à l’horizontal -, une foutitude de fonctions apparaissent telles que les dérivés, les racines carrées… Inutile mathématiquement pour la plupart d’entre nous, mais socialement très utile pour briller en soirée.

Bref, ce livre drôlement érudit constitue une lecture idéale pour l’été pour ne pas textoter ni bronzer idiot. Il mérite que l’on délaisse un temps son teléphone intelligent. Pour y revenir plus intelligemment.

@david_lacombled
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